L’épidémie chez la grue cendrée au lac du Der dans le Grand Est a marqué l’automne 2025.
Cette année, les observateurs ont remarqué un comportement anormal chez ces majestueux oiseaux migrateurs : vols très bas, pauses inhabituelles, et surtout une absence de peur de l’homme.Des signes qui ont rapidement alerté les naturalistes et les autorités sanitaires.
Le virus de la grippe aviaire, présent dans de nombreuses zones humides d’Europe, semble avoir frappé de plein fouet la population des grues cendrées, symboles du lac du Der et de la migration automnale.
Le cormoran : semblerait porteur sain et espèce en expansion
En parallèle, une autre espèce très présente sur le lac du Der attire l’attention : le cormoran. Selon plusieurs rapports européens, notamment ceux de l’EFSA (2025), cet oiseau aquatique semblerait comme porteur sain de la grippe aviaire.
Des études menées dans les pays baltiques (Bregnballe, 2024) ont confirmé la présence du virus H5N1 dans des colonies de Grands Cormorans (Phalacrocorax carbo), souvent sans symptôme apparent.Ainsi, tout en se déplaçant entre zones humides, le cormoran peut disséminer le virus, contribuant à la contamination d’autres oiseaux migrateurs, comme la grue cendrée.
Une espèce surabondante et destructrice
Sur le lac du Der, les effectifs de cormorans peuvent atteindre jusqu’à 10 000 individus pendant les périodes de migration. Capable de plonger à 40 mètres de profondeur en moins de 30 secondes et de rester plus de 5 minutes sous l’eau, cet oiseau pêcheur est un redoutable prédateur.
Sa consommation est considérable : 8 000 cormorans présents sur le lac du Der mangent chaque jour entre 2,4 et 4,8 tonnes de poissons (chiffres 2023). Le cabinet d’études AYGA a rendu, en avril 2025, les résultats de plusieurs années d’observation et de chiffrage de la vie aquatique du lac : il en ressort un impact massif, avec près de 400 tonnes de poissons consommées chaque année en moyenne (source : L’Union, avril 2025).
Mais sa prolifération déséquilibre profondément les milieux aquatiques : destruction des populations piscicoles, raréfaction des truites, brochets, sandres et perches, perturbation de la chaîne alimentaire… Autrefois rare dans le Grand Est, le cormoran s’est largement étendu avec la création des grands lacs, devenant aujourd’hui une espèce omniprésente.
Malgré sa protection au niveau européen, certains pays ont pris des mesures de régulation encadrée. Le Danemark intervient notamment au niveau des œufs, afin de limiter la reproduction. En Suède, un tir de prélèvement exceptionnel de 70 000 cormorans a été autorisé pour l’année 2025. Des actions similaires de régulation par tir sont également menées en Estonie et en Lituanie.
Sa protection systématique, encouragée par certaines directives européennes, complique aujourd’hui toute régulation locale, laissant les gestionnaires de milieux aquatiques et les acteurs de la pêche dans une situation de plus en plus difficile.
Il est difficile de comprendre qu’on puisse surprotéger une espèce qui détruit, année après année, des poissons emblématiques de nos régions — véritables symboles de nos rivières, de nos lacs et de notre patrimoine halieutique.
L’impact écologique des colonies de cormorans
Au-delà de leur pression sur les poissons, les grandes colonies de cormorans provoquent d’importants déséquilibres écologiques sur la terre ferme comme dans l’eau.
Les dépôts massifs de fientes (guano) modifient profondément les sols et la végétation locale.Riches en azote, phosphore et acide urique, ces excréments entraînent une acidification et une salinisation des sols, modifiant la composition chimique et biologique du milieu.Plusieurs études ont montré que ces apports excessifs provoquent la disparition progressive de la végétation sous les colonies et la mort d’arbres entiers, notamment les conifères et les feuillus les plus sensibles.
L’équipe de Klimaszyk & Rzymski (2016) a démontré que les concentrations d’azote et de phosphore peuvent être jusqu’à 100 fois supérieures à la normale sous une colonie de grands cormorans, entraînant une altération durable des sols et des habitats terrestres.
Ces apports de nutriments ne restent pas confinés : le ruissellement du guano vers les plans d’eau voisins provoque une eutrophisation locale, favorisant la prolifération d’algues et la diminution de l’oxygène dissous.Une étude de Breuning-Madsen et al. (2010) a mis en évidence une augmentation significative du phosphore dans les zones humides proches des colonies, avec pour conséquence un déséquilibre de la faune aquatique et la dégradation de la qualité de l’eau.
Ainsi, sous couvert de protection intégrale, une espèce devenue surabondante contribue à fragiliser des écosystèmes entiers — aussi bien les forêts riveraines que les milieux aquatiques qu’elle exploite.Ce paradoxe soulève une question essentielle : jusqu’où peut-on protéger une espèce, quand sa surpopulation menace les autres formes de vie et les équilibres naturels ?
Un impact économique majeur
L’épidémie de grue cendrée au lac du Der, dans le Grand Est, associée à la surpopulation de cormorans, engendre un véritable choc économique pour l’ensemble des activités locales liées à la nature et au tourisme halieutique.
Les associations de pêche voient leurs efforts de gestion des milieux aquatiques menacés, contraintes de financer des repeuplements coûteux. Les magasins d’articles de pêche subissent une nette baisse des ventes, tandis que les pisciculteurs doivent faire face à des pertes importantes dues à la prédation et aux restrictions sanitaires.
Les propriétaires de parcours privés, les étangs et rivières touristiques pâtissent d’une baisse de fréquentation, tout comme le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, directement lié au tourisme halieutique. Les guides de pêche, quant à eux, voient leurs stages à la baisse et leurs zones (ombre/truite) de pratique appauvries, mettant en péril une partie essentielle de l’économie locale.
Du côté agricole, la grippe aviaire touche également les élevages de volailles, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Les confinements d’animaux, abattages préventifs et restrictions de déplacement ont des conséquences économiques lourdes. Même les particuliers qui élèvent quelques poules pour le plaisir voient leurs libertés réduites par les mesures sanitaires.
Cette situation illustre parfaitement comment un déséquilibre écologique et une épidémie animale peuvent fragiliser tout un écosystème rural et économique.
En conclusion
L’épidémie chez la grue cendrée au lac du Der révèle les limites d’un système où certaines espèces, comme le cormoran, prolifèrent sans contrôle. Entre la grippe aviaire, la pression sur les poissons et les pertes économiques pour tous les acteurs locaux — des associations aux pisciculteurs, en passant par les professionnels du tourisme halieutique et les guides de pêche —, il devient urgent de repenser la gestion des populations d’oiseaux aquatiques dans le Grand Est.
Préserver la nature, oui — mais sans oublier ceux qui en vivent au quotidien : pêcheurs, éleveurs, commerçants, restaurateurs, hébergements (en tous genres) et guides de pêche.